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Les expos du Cejart en octobre (2/3) : "Créer pour Louis XIV" au Mobilier national


Les premiers arrivants, tout occupés à prendre la pose en attendant impatiemment la visite d'un site unique !

Après Peter Hujar, c’est un tout autre univers et propos que nous avons découvert quelques jours plus tard, guidés par Madame Stéphanie Brouillet, commissaire de l’exposition Créer pour Louis XIV aux « Gobelins », du nom d’une famille de teinturiers qui, les premiers, marquèrent l’histoire ce lieu riche de savoir-faire, dépositaire de l’excellence française dans de multiples artisanats. Une excellence qui n’a jamais eu autant de prestige que sous le règne de Louis XIV, judicieusement conseillé par ses ministres Colbert et Le Brun qui menèrent une véritable politique royale de développement de la manufacture, vouée plus que toute autre à servir le roi en meublant ses résidences et en produisant des objets à la vocation éminemment diplomatique.

C’est cette ambition de mettre sur pied une véritable vitrine de la puissance française que se propose de retracer l’exposition, célébrant le quatrième centenaire de la naissance de ces deux acteurs majeurs de l’histoire politique, économique et artistique du pays ; un audacieux défi alors même que tous les esprits sont accaparés par les cinq cents ans de la mort de Léonard. Les grandes créations et les objets exceptionnels de l’époque sont ainsi offerts à notre regard admiratif, prêtés par des institutions françaises ou – cela va de soi – tirés des inégalables mais peu connues réserves du Mobilier national. On retrouve ainsi nombre de tentures monumentales, dont celle de l’Histoire du roi, particulièrement emblématique de notre thème, mais aussi d’autres meubles et objets, toutes sortes d’archives (cartes, manuscrits, etc.) et des portraits.

Ceux de nos principaux protagonistes : le Roi en majesté sur son cheval, Colbert, Le Brun, et le premier intendant du Garde-Meuble de la Couronne, Gédéon Berbier du Mets, donnent d’emblée le ton de la visite. Tous, en bonne intelligence, ont savamment orchestré le rassemblement aux Gobelins des meilleurs artisans du monde dans leurs domaines respectifs. Attirer les talents, et s’inspirer des créations d’autres cultures (le roi lui-même est un fin amateur de tapis persans), jusqu’à les démonter et disséquer dans leurs moindres détails, est le premier pas vers la perfection.

Pierre Rabon (attribué à), Portrait équestre de Louis XIV, 1668, huile sur toile, 329x257 cm, Musée de la Chartreuse (Douai)

Le second est celui de la production autonome, par la constitution de programmes iconographiques tellement complexes et savants qu’ils requièrent l’élaboration de « modes d’emplois » à l’usage de leurs récipiendaires. Le répertoire de symboles et d’allégories est déployé dans des matières et des raffinements d’un luxe inégalé, comme en témoigne les extraordinaires tissages d’or de la tenture de Louis XIV en Apollon. Les références mythologiques et classiques s’effacent à mesure que s’affirme le monarque absolu, soucieux désormais de figurer la prospérité de son temps et de son règne personnel ; soucieux aussi d’en diffuser l’image à l’étranger comme on le sait, sans oublier les provinces du royaume lui-même qui « reçoivent » les différents motifs du pouvoir par l’intermédiaire de graveurs.

Le titre de l’exposition atteint alors son paroxysme, puisqu’il s’agit bien, comme l’indique la dernière salle, de « créer pour la gloire du roi », au risque pour celui-ci de bousculer la culture classique, antique de ses ministres et de sa cour. Qu’importe ! Si tel est son souhait, on ordonnera la création de cent-treize majestueux tapis de neuf mètres de long pour la galerie d’Apollon du Louvre, des exploits techniques lourds de centaines de kilos qui mettront vingt ans à voir le jour... Ou pas puisqu’ils seront immédiatement stockés, la cour ayant entre temps pris ses quartiers à Versailles. Ils y servirent finalement en 1919 pour la signature du traité de paix, mais malheureusement entre temps beaucoup furent vendus, pillés, dépecés, abîmés, et le Mobilier national n’en conserve à ce jour que quarante.

Vues d'ensemble et de détail d'un tapis de la Grande Galerie du Louvre aux armes de France réalisé à la Savonnerie, 455 x 900 cm, Mobilier national



Au gauche: Table en jaspe, agathe, sadoine, lapis-lazuli, améthyste, marbres de couleur, sur fond de calcaire, XVIIe siècle, 134x102 cm

A droite: Cabinet parisien, vers 1675, ébène, bronze et marqueterie de pierres dures, 258 x 192 x 60 cm, Musée des Arts décoratifs (Strasbourg)

Cette vie tumultueuse des œuvres et objets présentés justifie en partie la volonté de les présenter dans une reconstitution saisissante, dans les lieux même de leur création – les Gobelins – pour la plupart. L’institution connue pour sa rigueur scientifique, courant souvent le risque d’être austère, a ici fait le choix d’explications fournies mais claires, servant une scénographie véritablement théâtrale, d’un écarlate envoûtant jusqu’à l’entêtement. La densité de contenu – dont nous n’avons ici révélé qu’une faible partie – est impressionnante et fascinante, loin d’être roborative : on en redemande ! La plongée historique est renforcée au besoin par des bornes interactives permettant, notamment, de prendre la mesure (au sens propre comme figuré) de pièces disparues, comme le « mobilier d’argent » fondu sur décision du roi en 1689. Il s’agit en effet, dans cette exposition, de faire le lien entre tradition et modernité, d’illustrer la diversité des savoir-faire (tapisserie, orfèvrerie, sculpture, marqueterie, gravure) de l’époque et leur persistance contemporaine, puisque la plupart d’entre eux subsistent exactement au même endroit. Après tout, n’avaient-ils pas, dans l’esprit de Colbert et de Le Brun, vocation à sublimer la puissance du roi et, par-là, marquer la postérité du royaume ?

Ce n’est finalement que la mission première du Mobilier national, chargé de conserver, restaurer et nourrir la création artisanale et mobilière française, grâce aux trois manufactures des Gobelins, de Beauvais et de la Savonnerie. En montrant comment des figures historiques ont mis au service d’une politique de prestige des artisans de talent et leurs créations, cette exposition originale et réussie glorifie en fait ce patrimoine national commun dont elle a la noble responsabilité.

Créer pour Louis XIV. Les manufactures de la Couronne sous Colbert et Le Brun, Galerie des Gobelins, 42 avenue des Gobelins 75013 Paris, du 18 septembre 2019 au 4 décembre 2019.

Commissariat : Thierry Sarmant, Directeur des collections, Stéphanie Brouillet, Emmanuelle Federspiel, Hélène Gasnault, Morgane Lucquet-Laforgue.


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