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Les expos du Cejart en octobre (1/3) : "Peter Hujar. Speed of Life" au Jeu de Paume


Il y a quelques jours nous revenions sur la semaine parisienne de l'art contemporain et tentions, en plus de vous livrer quelques pépites exposées, d'en analyser les enjeux. Cette fois, nous faisons de même pour les expositions, dans trois domaines et institutions fort différents ; preuve que l'éclectisme du Cejart n'a, pour le service de ses lecteurs, aucune limite ! Au sommaire de ce récapitulatif, trois propositions :

  • une rétrospective photo de Peter Hujar au Jeu de Paume ;

  • du mobilier et de l'artisanat d'art avec Créer pour Louis XIV au Mobilier national - Galerie des Gobelins ;

  • et enfin une histoire poignante en pleine résonance avec l'actualité, celle du Marche de l'art sous l'Occupation au Mémorial de la Shoah.

Qu’on se le dise, la photographie n’est pas l’art le plus connu et maîtrisé parmi nous, et il semble même que personne ne connaissait l’américain Peter Hujar (1934-1987) et son œuvre. La proposition que nous a faite Madame Rogez, professeure d’anglais, de consacrer notre dernier cours à cette visite, était donc bienvenue pour tenter de combler cette lacune.

Il en est ressorti une impression générale d’éphémère et d’incertain, qui ressort tant des photographies elles-mêmes que de la vie de l’artiste parmi les avant-gardes et le milieu gay de New York : car si son œuvre n’est pas strictement biographique, elle est pleine, intime et personnelle. Ainsi cette fréquentation sera pour cet oiseau de nuit son souffle créateur quotidien, enveloppant son travail d’un voile mélancolique, mais ira aussi jusqu’à le faire succomber d’une pneumonie liée au VIH en 1987, la cinquantaine à peine passée.

On sent cet artiste parfaitement intégré dans ces cercles artistiques dont il transcrit parfaitement la sensibilité à fleur de peau, dans des clichés oscillant entre la sérénité factice et la soumission permanente aux drames de ces existences marginales. Le choix de faire poser souvent ses modèles allongés, sur un lit ou non, participe pleinement de ce ressenti, souligne l’expressivité ambigue des corps, et constitue une sorte de signature de son art.

Candy Darling on her Deathbed, 1973, coll. Ronay & Richard Menschel David Wojnarowicz Reclining 2, 1981, The Morgan Library & Museum

C’est clairement en tant que portraitiste que Peter Hujar se démarque, au point peut-être de reléguer ses autres sujets (les immeubles de New York, la mer, nature morte...) au second plan. Le corpus de portraits, seul ou de groupe, est en effet dense et largement dominant dans une exposition foisonnante qui manque quelque peu de liant avec le reste des photographies présentées. Peut-être est-ce à ce prix que les commissaires veulent, volontairement, ainsi amener le visiteur à reconstruire spontanément une cohérence d’ensemble autour de ce talent que démontre Hujar dans la capture de merveilles vulnérables, comme pour mieux en souligner la force d’évidence, en renforcer le saisissement ?

From Rockefeller Center: The Equitable Building, 1976, Peter Hujar Archive LLC Surf 2, s. d., Peter Hujar Archive LLC

Ethyl Eichelberger, 1981, coll. Gil Winter Untitled (Young Man), s. d., The Morgan Library & Museum

La force des photographies de Peter Hujar réside entièrement dans cette exploitation parfaitement maîtrisée de la « présence-absence » du sujet, pris dans une pose évanescente, flirtant avec la limite de la douleur de vivre. Elle devient saisissante dans quelques clichés où, d’une scène parfaitement inanimée, l’on s’attend à voir surgir un être, où l’on a envie de recréer une vie palpable pour mettre fin à un flottement de malaise : ici une couverture nonchalamment jetée, là les cadavres des catacombes siciliennes.

Blanket on the Famous Chair, 1983, coll. Dianne B. Palermo Catacombs 11, 1963, Peter Hujar Archive LLC

L’usage exclusif du noir et blanc est très efficace dans son exaltation de la beauté non conventionnelle de ses modèles, en marquant les moindres contrastes de leurs traits et leurs ambigüités d’émotions. Jamais ne transparaît un bonheur durable dans les photographies de Peter Hujar, pour qui l’important est justement de révéler la fragilité des moments de joie dans les épreuves de la vie (maladie, grossesse, etc.), particulièrement dans les communautés afro-américaine et/ou homosexuelle.

L’animal, la mer, la rue semblent alors des thèmes bien dérisoires que ne saurait réévaluer une technique photographique pointue. Car les clichés du new-yorkais ne font pas preuve d’une prouesse particulière dans le procédé ; Hujar n’est, de notre avis, ni un technicien novateur, ni un génial instinctif, mais c’est en revanche un virtuose de la mise en scène attaché à restituer sa connaissance personnelle de ses sujets, et de l’environnement dans lequel il évolue. Peu nombreux sont les photographes ayant une telle capacité à souligner avec tant d’empathie la difficulté d’exister et la valeur, pour y faire face, des liens entre les êtres.

Le Jeu de Paume se fait alors l’écrin d’une sublimation magistrale de la fragilité humaine, dont on ressort inévitablement bouleversé.

Peter Hujar. Speed of Life, Musée du Jeu de Paume, 1 place de la Concorde 75008 Paris, du 15 octobre 2019 au 19 janvier 2020.

Commissariat : Joel Smith et Quentin Bajac. Exposition organisée par la Morgan Library & Museum de New York et la Fundación MAPFRE de Madrid, en collaboration avec le Jeu de Paume pour l’étape française.


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