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L'exposition « Mondrian figuratif » du musée Marmottan-Monet


Le musée Marmottan-Monet frappe un grand coup dans le paysage muséal en cette rentrée, avec cette exposition explicitement intitulée Mondrian figuratif. Il s’agit d’une proposition originale, centrée sur la première partie de la carrière de l’artiste – de 1891 au sortir de la Première Guerre mondiale – dont l’objectif est justement de montrer qu’elle n’a rien d’incongru, tant elle a contribué à la maturation stylistique et théorique d’une tutélaire de l’abstraction. Cette exposition événement est une occasion rare en France d’explorer tout un pan oublié – sinon tout simplement méconnu – de l’œuvre de Piet Mondrian (1872-1944). Fruit d’un partenariat avec le Kunstmuseum de La Haye (Pays-Bas), elle nous dévoile de manière inédite la collection du plus grand mécène du peintre, Salomon B. Slijper, qui en constitue le premier fonds mondial.

C’est par la présentation des liens unissant les deux hommes que s’ouvre le parcours, sur lesquels il revient ponctuellement en guise de fil rouge, puis plus conséquemment dans sa conclusion. Slijper entre en contact avec Mondrian et son œuvre en 1915, au moment même où Mondrian mûrit sa technique abstraite. Ainsi la première salle expose côte-à-côte le Lièvre mort de 1891, première œuvre connue du jeune peintre puisant dans la plus pure tradition de la nature morte et de la peinture hollandaise, et Composition IV (1914), dans laquelle se reconnaît déjà le motif à damier qui fera sa renommée.

A gauche : Lièvre mort (1891), huile sur toile, 80 x 51 cm, Kunstmuseum

den Haag.

(Sauf mention contraire, toutes les oeuvres présentées par la suite sont des huiles sur toile appartenant au Kunstmuseum den Haag).

A droite : Composition IV (1914), 88 x 61 cm.

Rien ne distingue le style du Mondrian des débuts, qui représente la campagne, le village, les plans d’eau et leurs moulins, dans une palette terne et un réalisme somme toute commun. Il faut attendre 1907 pour le voir traiter des paysages dans ces atmosphères plus vives, aux contours estompés et aux ciels entre rose et jaune. Remarquons d’emblée que le public ne dispose que d’une poignée de toiles seulement pour apprécier ces quinze années de la production de Mondrian : est-ce là un choix des commissaires ou simplement un « trou » dans les œuvres qui nous sont parvenues jusqu’à ce jour, nous ne le savons pas. Toujours est-il que brutalement, en l’espace de deux ans, le gris et vert naturaliste cède la place à de francs contrastes sublimant des ambiances crépusculaires, captant des moments séculaires de grâces naturelles.

A gauche : Ferme à Duivendrecht (1905), 46x59 cm.

A droite : La ferme Geinrust dans la brume (1906-1907), 32,5 x 42,5 cm.

Nous apprenons ensuite avec étonnement, qu’en 1909 Piet Mondrian eut une brève période d’introspection mystique, lors de laquelle il se tourne vers la théosophie. Quelques portraits sur un petit pan de mur nous présentent l’œuvre produite alors, peu représentative en elle-même de la carrière du peintre mais capitale dans son évolution ultérieure, à en croire la présentation. C’est cette parenthèse théosophique en effet qui fait basculer sa production non vers l’abstraction directement, mais d’abord vers la couleur : il embrasse alors pleinement le luminisme comme traduction formelle de la théorie théosophique de l’évolution, marquée par des stades de progrès dans la connaissance « des fondements mêmes de l’existence. » La lumière devient le sujet principal du peintre, qui use de rouges, de jaunes et de bleus incandescents jusqu’à l’étourdissement, dans une exaltation poussée à l’extrême. Les thèmes de sa peinture restent relativement traditionnels : s’y retrouvent portraits, bois, moulins et églises, mais cette fois traités avec une énergie résolument moderne, dans un cadrage resserré qui concentre cette impression spirituelle.

Arbres au bord de l'eau (1907), 100 x 136 cm. Moulin dans le crépuscule (1907-1908), 67,5 x 117,5 cm.

Moulin dans la clarté du soleil (1908), 114 x 84 cm.

Dans les années 1910 commence une quête bien consciente de l’abstraction, inaugurée par la découverte du cubisme qui enseigne à Mondrian la science des angles et l’art de se jouer des géométries. A déjà quarante ans, il revient de son extase luministe pour opérer une synthèse idiosyncratique, une première digestion de l’ensemble de son œuvre. Une « coexistence pacifique », aux dires des commissaires, s’installe alors entre la figuration et l’abstraction, dont la comparaison de ses Autoportraits de 1912 et 1918 s’avère être un judicieux moyen de prendre instantanément la mesure. Mais plus encore, les titres de ses œuvres traduisent sa démarche : ainsi apparaissent des « compositions » aux qualificatifs naturalistes (Composition Arbres 2, 1913) ou purement géométriques (Composition ovale en plans de couleur 2, 1914) et numérotés, qui sont autant de tentatives et expérimentations pour atteindre l’essence du sujet. La ferme près de Duivendrecht, peinte en 1916, est sans doute le chef d’œuvre de la période, quintessence de réduction du figuré à l’essentiel n’interdisant pas des incursions naturalistes. L’observateur avisé retrouve d’ailleurs dans le traitement des branches, et leur entrecroisement dans le ciel coloré, comme un embryon du motif de l’abstraction « mondrianienne ».

Autoportrait (1912), fusain sur papier, 65 x 45 cm et Autoportrait (1918), 88 x 71 cm. L'arbre gris (1911), 79 x 109 cm et Composition Arbres 2 (1912-1913), Centre Pompidou, 98 x 65 cm.

La ferme près de Duivendrecht (1916), 80 x 106 cm.

Car c’est en effet en « père de l’abstraction » que ressort le néerlandais de cette décennie de transition, sans, d’ailleurs, que soit abordée la période dramatique de la guerre : nous nous contenterons d’apprendre qu’il se tourne ardemment vers le « néo-plasticisme » en 1918-1919, produisant alors des œuvres de pure abstraction. C’est aussi le moment où Salomon B. Slijper achète à Mondrian toutes ses œuvres restées dans son atelier parisien pendant la guerre, « sans même les avoir vues » et alors que beaucoup d’entre elles lui plaisent relativement peu, ce que l’exposition rappelle plusieurs fois. En agissant ainsi, Slijper aimerait bien convaincre l’artiste de revenir vers une facture plus traditionnelle, mais en réalité Mondrian y trouve les moyens de poursuivre ses recherches vers la « beauté absolue », loin de ses œuvres passées. Et, de fait, s’il peint « chaque jour » des fleurs pour satisfaire une certaine clientèle et nourrir son évolution stylistique, il s’émancipe franchement de son mécène en refusant une de ses commandes naturalistes, auxquelles il dit n’avoir plus de temps à consacrer. La rupture n’est pas consommée mais la « relation privilégiée » se distend, concluant ainsi l’exposition.

Composition avec grille 8 (1919), 84 x 102 cm.

En résumé, c’est à une stupéfiante et très plaisante découverte que nous convient le musée Marmottan-Monet et le Kunstmuseum de La Haye. En nous transmettant les précieuses pièces de la collection Slijper, unique au monde, ils dévoilent le parcours créatif d’un artiste majeur et pionnier, tant au plan stylistique que théorique. Dans son organisation, cette riche et dense exposition est une réussite, classiquement mais très efficacement scénographiée, dans un espace suffisant et dégagé. Les quelques ellipses sans grande conséquence, ainsi qu'une fin qui ne permet pas de comprendre comment cette collaboration si féconde entre Mondrian et Slijper a par la suite évolué, ne remettent pas en cause sa qualité, et le Cejart vous recommande de vous y précipiter sans plus attendre.

(Merci à Hortense Billaudel pour les photos prises pendant la visite.)

Mondrian figuratif. Une histoire inconnue, Musée Marmottan-Monet, 2 rue Louis-Boilly 75016 Paris, du 12 septembre 2019 au 26 janvier 2020.

Commissariat : Marianne Mathieu, Directrice scientifique du musée Marmottan Monet. Exposition organisée en partenariat avec le Kunstmuseum de La Haye.


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