Après une première intervention passionnante relative aux techniques d’expertise dans le cadre du Master 2 Droit du marché et du patrimoine artistiques, Madame Julie Ducher, experte du cabinet d’expertise Éric Turquin et membre du Syndicat Français des Experts Professionnels en Œuvres d’Art et Objets de Collection (SFEP), a invité l’ensemble de la promotion à découvrir les coulisses du plus fameux cabinet d’expertise de tableaux anciens et XIXe siècle de la capitale.
Le CEJART après la découverte du présumé Caravage. Une rencontre rendue possible grâce à Julie Ducher.
Rendez-vous pris dans l’immeuble historique abritant le cabinet rue Sainte-Anne. La visite débute par les deux salons où sont exposées des œuvres expertisées attendant d’être vendues aux enchères publiques à Paris et en province. Elle se poursuit dans l’autre aile de l’immeuble, où se trouve l’immense documentation rassemblant environ 500 000 fiches de tableaux passés aux enchères depuis les années 1920, ainsi que des articles de presse, classés par école et par époque, avec un dossier consacré à chaque artiste à la manière du classement de la documentation du musée du Louvre. La promotion découvre ensuite la bibliothèque que le cabinet Turquin partage avec le cabinet d’expertise de dessins De Bayser, où sont conservés 15 000 ouvrages, parmi lesquels de nombreux catalogues raisonnés, ainsi qu’une mezzanine dédiée aux catalogues de vente et aux périodiques. Cet ensemble d’écrits est unique puisqu’il s’agit de la deuxième plus importante documentation privée de ce type en France ; il est de ce fait un outil précieux pour le cabinet.
En attente d’attribution à Caravage ou à Finson ou à Anonyme, Judith et Holopherne (détail), huile sur toile, 144 x 173,5 cm, Paris / Source Wikimedia
Il est alors temps de découvrir le clou de la visite, l’œuvre qui déchaîne les passions depuis le printemps dernier : le tableau présumé de Michelangelo Merisi da Caravaggio – dit Le Caravage – représentant un fameux épisode de l’Ancien Testament, Judith tranchant la tête d’Holopherne. La scène dépeint l’épisode au cours duquel une jeune veuve, Judith, séduit le général assyrien Holopherne puis l’assassine pour sauver son peuple du siège de Béthulie. Découvert accidentellement en avril 2014 dans la sous-pente des combles d’une demeure de la région toulousaine par Maître Marc Labarbe, commissaire-priseur, le tableau a fait l’objet d’un arrêté publié au Journal Officiel le 25 mars 2016 le classant « trésor national », et refusant ainsi la demande de certificat d’exportation déposée par le cabinet. Depuis lors, et pour un délai de 30 mois, le tableau ne peut définitivement quitter le territoire français.
Caravage, La Madone du Rosaire, 1606-1607, huile sur toile, 364 x 249 cm, Kunsthistorisches Museum, Vienne / Source : Wikipedia
Tout juste revenu de Milan après trois mois d’exposition à la Pinacothèque de Brera aux côtés de son alter-ego, une copie par l’artiste flamand Louis Finson d’un original perdu de la main du Caravage, qui pourrait être le tableau redécouvert à Toulouse. Louis Finson, artiste marchand et propriétaire d’œuvres du Caravage, qui a notamment détenu la Madone du Rosaire aujourd’hui conservée au Kunsthistorisches Museum de Vienne, a en effet copié plusieurs œuvres du maître telles que la Marie-Madeleine en extase.
Caravage, Marie Madeleine en extase, 1606, huile sur toile, 106,5 x 91 cm, collection privée, Rome
Louis Finson, Marie Madeleine en extase, 1612, huile sur toile, 120 x 100 cm, Musée des Beaux-arts de Marseille
Une hypothèse formulée par les experts du cabinet Turquin est que le tableau de Louis Finson serait une copie contemporaine de l’œuvre redécouverte, que Caravage aurait réalisée directement sur la toile, sans dessin préparatoire et possédant de nombreux repentirs, hypothèse étayée par de nombreux éléments concrets issus de radiographies et d’archives. De nombreuses similitudes existent entre cette œuvre et sa variante conservée au Palazzo Barberini à Rome, puisqu’au-delà de sujets identiques, les deux compositions sont proches. Cette découverte étant récente, les investigations menées par les experts afin de retracer la provenance exacte de l’œuvre nous permettront peut-être de percer le mystère qui l’entoure pour le moment.
Caravage, Judith et Holopherne, v.1598-1599, huile sur toile, Palazzo Barberini, Rome
En attente d’attribution à Caravage ou à Finson ou à Anonyme, Judith et Holopherne, huile sur toile, 144 x 173,5 cm, Paris
Louis Finson, Judith et Holopherne, 1607, huile sur toile, Palazzo Zevallos, Naples
Qu’il soit ou non de la main de l’artiste, le tableau de Toulouse restera indéniablement l’une des grandes découvertes artistiques de cette décennie, de la même manière que le Saint-Sébastien de Léonard de Vinci. En vertu du délai de 30 mois, l’Etat peut se porter acquéreur de l’œuvre jusqu’en 2018. Le scénario le plus probable au vu de l’estimation de l’œuvre – 120 millions d’euros – est que l’Etat français renonce à l’acquisition et que le tableau soit vendu à une institution étrangère. En effet, rappelons les difficultés qu’a rencontré l’Etat lors de l’acquisition conjointe par le Louvre et le Rijksmuseum d’Amsterdam du double portrait de Rembrandt en 2015.
Le Cercle des Juristes de l’Art remercie vivement le cabinet Eric Turquin de son accueil à l’occasion de cette visite.
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La visite du CEJART au Cabinet Turquin en images