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Regards Croisés #1 : Magritte Philosophique


Évènement très attendu de cette rentrée culturelle, l’exposition Magritte, la trahison des images proposée par le Centre Pompidou promettait d’offrir une approche inédite de l’Oeuvre de l’artiste. Elle met en effet en exergue l’intérêt du peintre belge pour la philosophie.

Magritte, La Trahison des images / Crédits : Centre Pompidou

Témoins de cette passion, des échanges épistolaires, dès les années 1950, de René Magritte avec Alphonse De Waelhens et Chaïm Perelman comptent parmi les pièces présentées. Mais c’est avec la publication en 1973 de Ceci n’est pas une pipe par Michel Foucault que le point d’orgue des réflexions philosophiques de l’artiste sera atteint.

Les membres du Pôle rédaction du CEJART partageant des ressentis différents sur cette exposition, le CEJART a souhaité compiler leurs avis subjectifs pour garantir une plus grande objectivité.

La philosophie : Un fil rouge décousu

Si parmi la centaine de tableaux et de dessins présentée, la majeure partie s’attache à la période surréaliste du peintre, quelques oeuvres sont liées à sa « période vache », sensiblement moins connue mais tout aussi intéressante pour comprendre le cheminement de la pensée de l’artiste. Il aurait été judicieux de s’y attarder davantage en présentant des œuvres supplémentaires.

René Magritte, La Clairvoyance, huile sur toile, collection particulière, 1936 / Crédits : Agathe Mathaut

L’Oeuvre de René Magritte est toujours impressionnante, hypnotique et donnematière à réflexion. Le fil conducteur proposé pour cette rétrospective, la philosophie, était intéressant de prime abord, mais il faut bien avouer que le visiteur se trouve parfois un peu perdu et décontenancé.

L’exposition s’articule autour de cinq salles. La première offre une présentation généraliste de la pensée philosophique de Magritte, les suivantes sont consacrées aux diverses réflexions qui habitent ses œuvres. Ces salles sont toutes introduites par une œuvre classique illustrant le récit d’un événement tiré de la Bible (L’Adoration du veau d’or), d’un événement légendaire ayant marqué la création artistique (Zeuxis et Parrhasios, et Les filles de Crotone) ou d’ouvrages de philosophes grecs et romains, références de tous temps (Pline l’Ancien et Platon). Mais le lien entre cet événement majeur et les œuvres de Magritte dans la salle adjacente semble souvent assez fragile et périlleux. Citons par exemple la salle consacrée au célèbre mythe de la caverne présenté par Platon dans le Livre VII de La République. Si le rapport avec l’œuvre de Magritte La Condition Humaine est flagrant, véritable « illustration littérale de l’allégorie de la caverne », il l’est nettement moins avec les autres œuvres présentes dans la salle, en témoigne par exemple La Belle Captive.

La scénographie de l’exposition par ailleurs manque un peu d’attrait pour le visiteur. Elle est linéaire, uniquement rythmée par les quatre salles thématiques, toutes disposées et agencées de manière uniforme. Peut-être y trouvera-t-on une explication dans le fait que les œuvres de Magritte se suffisent à elles-mêmes. Si le génie de l’artiste n’est pas bafoué, il n’en est pour autant pas particulièrement sublimé.

Agathe MATHAUT

« Les titres des tableaux ne sont pas des explications et les tableaux ne sont pas des illustrations des titres. La relation entre le titre et le tableau est poétique »

René Magritte

Le Centre Pompidou fait sortir Magritte de sa caverne

Cette exposition pourra être qualifiée de rétrospective tant l’appétence de René Magritte pour la philosophie est indissociable de son œuvre. Toutefois, elle les éclaire sous un nouveau jour grâce à une scénographie intelligente et originale. Elle est l’occasion de cheminer à travers un grand nombre de productions de l’artiste et de tenter d’en déchiffrer un sens – sans pour autant y parvenir pleinement. Mystérieuses et ludiques à la fois, ces œuvres apparaissent comme tant d’énigmes qu’il s’agit de contempler, de résoudre ou de s’évertuer à saisir le sens , parfois égaré par des commentaires alambiqués.

René Magritte, La Belle Captive, huile sur toile, Loan of Clive A. Evatt, 1931 / Crédits : Agathe Mathaut

Puis le visiteur se focalise sur les œuvres elles-mêmes et tente de les décoder grâce aux clés de compréhension que Didier Ottinger, le commissaire d’exposition, lui offre. L’exposition se met progressivement en place et le conduit vers des réflexions purement philosophiques et esthétiques. Les salles se succèdent : à chaque récit philosophique et biblique, comme l’idolâtrie du veau d’or ou l’allégorie de la caverne de Platon, chacun étant illustré par un tableau de maître ancien, est associée une sélection d’œuvres de Magritte. Au fil de son périple, le visiteur est poussé à se questionner sur la réalité des choses qui l’entourent ainsi que sur leur authenticité.

Si picturalement Magritte n’est pas considéré comme un prodige de son temps, il est nécessaire de reconnaitre que ses œuvres ont la particularité d’être aussi poignantes que des discours, en proposant une interrogation renouvelée, puisque visuelle, sur des questionnements philosophiques immuables. Plus qu’une exposition de peinture, il s’agit d’une expérience introspective ludique, à travers l’œuvre de l’un des artistes les plus importants du XXème siècle, que le Centre Pompidou propose au spectateur de découvrir ou de redécouvrir.

Sophie GUYADER

« J’utilise la peinture pour rendre visible la pensée »
René Magritte

Une déambulation interne

L’ambition de cette exposition rencontrait un écueil : celui de présenter un artiste mondialement illustre, dont la pomme, le chapeau et la pipe, métonymies du personnage, sont bien connus de tous. Le Centre Pompidou réussit adroitement à nous faire voir le maître belge, sans trop « d’artifices muséaux ». En effet, le choix d’une scénographie épurée, cadencée par des salles construites sur un modèle identique, permet une progression linéaire, et une concentration sur l’essence et les messages intrinsèques des œuvres. Le travail du peintre-philosophe est d’une richesse qui ne requiert finalement que peu d’ornements.

Si le visiteur a tendance à s’abreuver des cartels érudits, avant d’appréhender l’œuvre, cette exposition démontre combien le génie artistique se suffit à lui-même. C’est en abandonnant la lecture de ces commentaires parfois déroutants, que s’opère la magie et que l’œuvre entre en résonance avec notre sensibilité. Une fois libéré du joug didactique que recherchent beaucoup de visiteurs de musées, on se laisse aller à une rêverie ludique, qui revêt les aspects d’un défi : décoder le peintre, suivi de près par une introspection : pourquoi vois-je ces codes ? Particulièrement intéressante à parcourir à plusieurs, l’exposition accuse ou confronte nos imaginaires.

René Magritte, Le Masque vide, huile sur toile, 73,3 x 92,3 cm, Kunstammlung Nordrhein-Westfalen, Düsseldorf, 1928 / Crédits : Agathe Mathaut

Par exemple, l’œuvre La folie Almayer, sans les références littéraires nécessaires, peut évoquer mille autres choses : la supériorité de la nature reprenant ses droits sur les constructions humaines, une ruine tirée d’un romantisme noir.

Les œuvres classiques inaugurant chaque salle incarnent de véritables phrases d’accroche, indiquant au spectateur à l’aune de quel concept porteront les œuvres de Magritte, sortes de thématiques philosophiques telles l’adoration du veau d’or ou la mythique caverne de Platon. Reflets de considérations philosophiques séculaires et atemporelles, la trahison des images dévoile un peintre questionné, et questionnant par des tours de force sémantiques. Illustration parfaite de cette mise en abîme constante du regardeur : La lumière des coïncidences, datée de 1933, peut tout d’abord rappeler une bougie tirée d’une œuvre de Georges de La Tour, et un buste antique évoquant la Vénus de Milo, avant de révéler que ce même buste peint, se trouve baigné par la lumière de la bougie posée près du tableau. Celle-ci projette, telles les ombres de la caverne, la silhouette du buste, absurdité confondant ce que nous apprécions comme étant le réel.

Jeanne MENARD

« Il convient de rappeler aux visiteurs d’une exposition de toiles de René Magritte que les images qu’ils rencontrent ici relèvent d’une exploration mentale éminemment hétérogène et complexe. Une constante médiation critique sur les rapports du monde extérieur avec l’homme (…) a mené cette peinture à l’unité vivante et à l’expression efficace »

Paul Nougé, Dernières recommandations, 1938

La trahison des images, la trahison du spectateur

Le Centre Pompidou, en proposant une exposition évènement consacrée à Magritte, semble vouloir s’adresser au grand public. Néanmoins avec une scénographie dépouillée, des cartels parfois un peu confus et une approche restreinte, le Centre Pompidou ne s’adresse-t-il pas à un public averti et déjà usé à la gymnastique des peintures de Magritte ?

Si le génie de l’artiste peut certes s’auto-suffire et entraîner tout spectateur dans les abîmes de ses propres réflexions, il y a quelque chose de désinvolte dans la manière dont le musée choisit de faire honneur à sa tête d’affiche de la rentrée. Un circuit linéaire, sans originalité, ponctué d’un dialogue avec la philosophie, certes adroit, mais terriblement attendu, ne permet pas de renouveler cette impression générale de déjà saisir l’œuvre du peintre belge qui a intégré l’imaginaire collectif populaire. Il est regrettable qu’une institution supposée proposer un contenu novateur dans le paysage de l’histoire de l’art ne s’engage pas à amener son public vers de nouvelles réflexions pour un artiste dont l’oeuvre est si vaste, pleine de surprises et profondément complexe.

René Magritte, La Condition humaine, huile sur toile, 54 x 73 cm, Norfolk Museums Service, 1935 / Crédits : Agathe Mathaut

Pourquoi, à titre d’exemple, ne pas avoir proposé une lecture plus approfondie des motifs clés de l’artiste en confrontant plus radicalement ses oeuvres ? La condition humaine, dont le motif de la grotte est représenté dans plusieurs tableaux très similaires se retrouve dispersé dans l’exposition. Cela nous donne l’impression de tourner en rond dans notre réflexion, quand une confrontation aurait pu nous permettre d’explorer plus attentivement la multiplicité des sens et le cheminement intellectuel de l’artiste.

Simple volonté de donner au spectateur ce qu’il a envie de voir ou bien parti pris de laisser rayonner l’artiste par lui-même, la position du Centre reste ambiguë. L’exposition déçoit quand bien même l’enthousiasme de retrouver Magritte console. La trahison des images reste bien consensuelle pour un artiste qui n’a jamais trahi ses spectateurs.

Léa VICENTE

 

Exposition « Magritte. La trahison des images »

Centre Pompidou, 21 septembre 2016 – 23 janvier 2017


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