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Visite de la galerie François Léage


Grâce à Monsieur Philippe Commenges, expert en mobilier et enseignant dans le master, notre promotion a eu la chance de visiter lundi dernier la galerie François Léage, située rue du Faubourg Saint-Honoré dans le 8ème arrondissement. Monsieur Guillaume Léage en personne nous a présenté quelques-unes de ses plus belles pièces, et révélé de précieuses et passionnantes informations sur l’histoire, le style et les techniques associées au mobilier XVIIIème. Cette visite était par conséquent une belle occasion de prolonger et d’appliquer le cours de Monsieur Commenges sur ce sujet.

En effet, Guillaume Léage, fils de François, est un jeune marchand qui représente la cinquième génération d’une famille établie dans le commerce du mobilier XVII-XVIIIème depuis 1875. Il s’agit donc d’une maison historique dont le prestige est porté par une politique de sélection stricte sur le plan chronologique et surtout qualitatif, les pièces étant toutes de provenance royale ou aristocratique, dans un état irréprochable. Il revendique en effet de « faire le choix » des objets, quitte à ne pas retenir les meubles trop restaurés, ayant perdu leur authenticité première : il vaut mieux en quelque sorte accompagner le meuble au fil de sa vie et des siècles, le préserver plutôt que tenter vainement de le faire renaître. Cela vaut pour l’aspect extérieur du meuble bien sûr, mais comme nous le verrons, Monsieur Léage est tout autant vigilant à l’histoire et à l’état qu’en révèlent l’intérieur et le dessous.

Cette exigence est pour lui la meilleure garantie de satisfaire une clientèle de connaisseurs fidèles sur plusieurs générations, de collectionneurs fortunés et d’institutions muséales. Dans son métier, il est indispensable en effet de créer et d’entretenir un réseau de confiance, d’être actif et influent dans les foires et salons aussi, pour se faire (re)connaître et trouver les meilleures pièces. La plupart d’entre elles proviennent en effet de mains privées, et seules quelques-unes sont acquises en ventes aux enchères.

En revenant dans ce billet sur les principales d’entre elles, commentées par Messieurs Léage et Commenges, nous espérons vous faire partager les détails et connaissances, ainsi que le plaisir, que nous avons nous-mêmes retiré de ce moment.

Commençons avec une commode 1750 en amarante et bois de violette satiné, dont la marqueterie présente des motifs en diamants. On remarque que les bronzes suivent parfaitement le motif du placage en amarante, preuve qu’ils sont d’origine : ils suivent le bois pour lequel ils ont été fabriqués. Le marbre est de type « brèche d’Alep ».

Sur cette commode de François Lieutaud (actif dans la première moitié du XVIIIème siècle), la marqueterie est de style « Boulle » en hommage au style du célèbre ébéniste du roi Louis XIV : il se distingue par un travail léché sur les contrastes des tons clairs et foncés, ici en associant le bois d’ébène, le bronze et le laiton. Le placage a été obtenu en superposant les motifs lors de la découpe dans le bois, dont résultent une première partie et, en négatif, une « contrepartie » moins noble mais parfaitement utilisable pour faire un second meuble et former une paire.

L’estampille aux initiales (« F. L. ») plutôt qu’au nom complet était la norme de l’époque, ce qui est parfois source de difficultés pour l’attribution. De manière générale l’attribution est plus aisée, pour des raisons corporatistes autant que pratiques, pour les ébénistes ou marchands-merciers que pour les bronziers : ceux-ci laissaient rarement leur nom et ont donc moins traversé l’histoire jusqu’à nous, sauf pour ceux dont le style personnel les identifiait. Mais même en présence d’une estampille, il n’est pas toujours aisé de savoir à quel artisan elle correspond : il s’agit parfois de celle d’un restaurateur, hypothèse d’autant plus probable si l’on est en présence de deux estampilles différentes.

Le XVIIIème siècle est une époque où l’on rivalise toujours plus d’ingéniosité pour créer des mécanismes complexes et autres tiroirs à secrets : Paris jouit d’un grand prestige, est une place mondiale d’émulation et d’inspiration, qui attire les talents autant qu’elle exporte ses meubles et son goût. Le perfectionnement du travail du bronze, de nouvelles techniques et outils permettent d’évoluer vers un style moins trapu, plus galbé et équilibré, privilégiant les formes rectilignes à partir de Louis XV.

On remarque ainsi le dossier droit et les pieds fuselés de cette paire de chaises d’époque Louis XVI. Le plus intéressant se trouve en les retournant : on constate que les sciages sont manuels et réguliers, donc authentiques, ce que confirment les marques de garde-meubles royaux (« G.C. » pour « Grand Contrôle », c’est-à-dire les Tuileries, ainsi que « P. T. », pour le Petit Trianon). De plus, la seconde vie du meuble est visible dans les marques de restauration et les tâches de peinture rouge dont la signification est encore inconnue, mais que l’on trouve souvent sous le Second Empire.

Riesener, ébéniste favori de Marie-Antoinette porte à l’excellence le style de la seconde moitié du siècle, avec des réalisations telles que cette commode et ce bureau en amarante et bois de rose, parés d’un motif en double filet en trompe-l’œil qui, par sa virtuosité, est une signature infaillible. Les montages impeccables de la commode visibles à l’intérieur, tout comme la fixation très propre et discrète des pièces de bronze au-dehors, confirment qu’il s’agit de pièces prestigieuses.

Changeons ensuite de registre avec cette surprenante hippomobile pour enfant, aux armes des Bourbons d’Espagne et décorée de riches scènes pastorales sur fond d’or, tel un véritable tableau roulant. Tout aussi curieuse est cette « toilette de campagne » réalisée de nouveau par Riesener, sur laquelle on remarque de grandes plaques unies en acajou ont remplacé les précieuses marqueteries signature de l’artisan : ce meuble révèle l’évolution d’un certain goût de l’époque, auquel s’adapte parfaitement Riesener, dans sa quête permanente de conciliation entre élégance et sobriété.

Pour finir, intéressons-nous à cette commode de Pierre Macret, en « vernis Martin », technique que l'on doit à deux frères dont le savoir-faire en matière de laques est ainsi passé à la postérité : il s'agit d'une imitation des laques japonaises traditionnelles dont la maîtrise par les Européens est alors devenue suffisante pour se passer de leur importation, extrêmement onéreuse. Cette maîtrise est ici évidente dans la qualité des reliefs de la laque, patiemment appliquée en fines couches superposées. Les ventaux recouvrent eux-mêmes des tiroirs (on parle ainsi de commode « à l’anglaise ») à décor floral d’un rouge profond, offrant un contraste élégant avec le noir extérieur du meuble.

Nous voilà au terme d’un parcours complet de la vaste et élégante galerie de Guillaume Léage, qui nous a permis d’examiner des meubles de nature différente, entre bureaux, commodes et sièges, et ainsi de voyager dans un temps où la richesse créative était servie par un savoir-faire manuel inégalable. Le contrepoint original avec les abstractions d’Hans Hartung (jusqu’au 16 novembre), et des sculptures modernes installées çà et là sur le mobilier ancien comme le montrent certaines photos, nous rappelait cependant les charmes que sait offrir notre époque et les « Harmonies » qu’elle peut composer avec un passé bien valorisé. C’est bien ce lien patrimonial inestimable que la famille Léage s’attache à perpétuer depuis un siècle et demi et, espérons-le, pour de nombreuses années encore.

(Merci à Elise, Roxane et Diane du pôle comm' pour leurs relectures et leurs précieux conseils).

Galerie François Léage, 178 rue du Faubourg Saint-Honoré, 75008 Paris 8ème


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